Titof, 30 ans, acteur porno bi. Icône d’un milieu hétéro-macho, il prend ses pairs à contre-pied en réalisant un film gay, dont il est la vedette passive. Recto verso
Derrière, quelque part, une femme simule des cris d’orgasme sur fond musical. Il interrompt son discours et sourit d’un air embarrassé, hasarde un «euh, c’est rien, c’est la miss…». Séance de vidéo dans les locaux du réalisateur et producteur John B. Root. Mais non, on ne s’inquiète pas, on imagine bien qu’on n’est pas venu dans une église. Même si Titof, 1,70 m, yeux bleus, chair rose, a tout d’un ange. Avec une grosse bite. Et, ajoutent les connaisseurs, un seul testicule. La fille crie toujours. «Elle s’est coincée les doigts dans la porte», plaisante-t-il. Comme quoi, les hardeurs ont un inconscient, et il s’exprime. On le surnomme «le Petit Prince du X». John B. Root le qualifie de «rimbaldien». Et c’est vrai qu’il dégage sur les photos ou dans certains films une mélancolie inusitée dans le milieu, un air de petit garçon puni. Il ne fume les cigarettes qu’à moitié, parle d’une voix discrète, devient inaudible quand il évoque son enfance ou sa fille. Là, il baisse la tête, détourne le regard: «C’est une drôle d’histoire, parce que je ne suis jamais vraiment sorti avec la mère. Tu as 20 ans et on te dit: « C’est toi le père. » C’est malheureux que ça arrive comme ça. Puis tu vois la gosse grandir, c’est plus pareil, c’est ton enfant.» Il n’en a pas eu d’autre: «Je n’ai jamais trouvé la personne avec qui le faire. J’ai vécu avec une réalisatrice puis une actrice de X. Soit j’ai une véritable histoire d’amour… ou sinon, c’est le vide. » Silence. Il ne veut pas faire trop sentimental, se reprend, s’autoparodie: «Beu-euh, chuis tout seul ! » John B. Root confirme qu’il a quand même failli se suicider parce qu’il s’était fait larguer. Même malaise pour parler de sa mère et de son beau-père, ferrailleur à Lunéville, en Meurthe-et-Moselle. La famille est mal vue, ils vivent en caravane, ses camarades d’école le mettent à l’écart: «Je ne sais pas si je dois le dire, je passais un peu pour un pouilleux.» Christophe se cogne avec le beau-père, celui-ci l’oblige à faire un CAP de maçonnerie alors qu’il rêve d’être dessinateur industriel. Il sera finalement éducateur sportif puis monteur-câbleur sur des pylônes pendant quatre ans : «J’aime tout ce qui est ascensionnel.» On apprécie la métaphore phallique. Mais le vrai plaisir de ce boulot, dit-il, c’était d’être toujours en déplacement à travers la France et l’Europe, en convoi avec une équipe d’ouvriers, de rencontrer des gens différents. Le film dont il est le plus fier en tant qu’acteur s’intitule justement le Principe de plaisir, parce qu’il lui a fallu jouer des scènes de comédie et pas seulement «sortir [sa] queue». Le plaisir, pour lui, c’est l’amour du travail bien fait. S’il y avait un tour de France des compagnons hardeurs, il serait déjà meilleur ouvrier. «Le porno, pour moi, c’est assez tribal.» Réalisateur italien, hardeuses tchèques, acteurs hongrois, cadreur français, «c’est comme dans le film de Klapisch, l’Auberge espagnole, un groupe d’Européens qui se retrouve, qui échange des trucs. J’ai toujours été un peu comme ça, balluchon sur le dos.» Dans le documentaire bonus qu’on trouve sur le DVD de son film, les scènes de copinage abondent, on banquette à la fin du tournage, Ovidie vient dire bonjour, c’est l’éclate entre potes. Pas de clans, il y a des hétéros hommes et femmes dans l’équipe, des acteurs gays, d’autres bi, ça fonctionne: «Je me couchais le soir avec le smile. » Il en sourit encore. Il rêve de «vrais» films avec trois bouts de ficelle, d’une aventure à la Blair Witch Project, n’était «la paresse», son défaut majeur. Titof est passé des pylônes au pilonnage un peu par hasard, en remplaçant un acteur défaillant sur un plateau où il avait accompagné un ami. Ce n’est pas une vocation. Il commente d’un air vaguement gêné : «Et comme j’étais assez bien membré, ça coïncidait… avec le porno. » Avant de commencer à tourner, il consomme déjà pas mal de X («Les prolos sur les chantiers, ils ne parlent que de cul, ils s’échangent des cassettes»), fréquente les boîtes échangistes. Dès sa première apparition, il ne fait aucune faute de syntaxe: «Je connaissais les acrobaties: doggy, spoon, etc.» Pourtant, ce qui l’intéresse, lui, c’est justement la licence poétique : «A part ici, chez John, sur les autres productions, c’est toujours exactement pareil : on fait pipe, vaginal, anal, éjac. Parfois j’arrive, je tourne la scène et je m’en vais. » Simple constatation, il ne crache pas sur l’alimentaire. Titof n’a aucun message à faire passer, il n’est pas politique comme Ovidie, ni expérimental comme HPG. Il respecte leur travail mais «le porno, c’est de la branlette. Il faut que ça reste à sa place. Enfin, pour moi». Dans la famille cul, demandez le fils du voisin: c’est lui. Un type normal et qui en joue, qui met à sécher ses gants de moto sur le radiateur, qui raconte ses nuits scotché à la PlayStation et à la maison idéale, avec des animaux gentils et une rivière «pour pêcher à la ligne». Et puis, aussi, il ne vote pas, «pour ne pas faire de connerie» (petite voix). Il a tout de même une ambition dans le X : brûler les étiquettes. Car la pornographie académique aime les partages clairs, les tiroirs-caisses bien séparés. Or, le bi, ça fait fuir tout le monde, ça ne sert à rien, puisqu’il suffit d’empiler un film homo sur un film hétéro pour satisfaire le client potentiel. Titof obtient, en 2000, le hot d’or du meilleur espoir masculin, mais, quand sa bisexualité est révélée, c’est la soupe à la grimace. «Dommage qu’il n’y ait pas eu le hot d’or du désespoir en 2001, ils me l’auraient filé. On me voyait beaucoup moins dans les magazines spécialisés. C’est comme ça que j’ai commencé à casser un peu le mythe du hardeur, le mec qui a toujours la trique.» Il fait un geste en direction de son visage, rigole, «le mec qui s’assomme avec.» Lui, en revanche, n’hésite pas à se faire goder par des filles dans les films de B. Root. Il se sentait plus hétéro avant, un peu plus gay maintenant, dit-il, mais toujours réversible, toujours un voyageur des frontières floues. Le titre de son film, Ti’touch: passage à l’acte, sonne comme une provocation, comme une invitation pour la gent masculine à se faire sodomiser. Titof donne bien sûr l’exemple. Il reçoit des mails d’hommes qui le remercient de les avoir aidés à assumer leurs deux côtés. Et, pour finir d’embêter le monde, il décide en outre de piétiner allégrement les canons de la plastique gay en invitant Stan Piotr dans son film, quinquagénaire velu et bedonnant, «aussi charmant que Junior, le jeune acteur brésilien: pour moi, la beauté, elle est chez tout le monde». Piotr, premier hardeur officiellement bi dans les années 70, illustre ainsi doublement la perméabilité des genres, par son physique et par sa sexualité, tout en apportant une caution historique, car la tribu se doit d’avoir ses mânes. La jaquette du DVD, quant à elle, est barrée d’un logo bizarre, une sorte de déchirure qui ressemble à l’emblème d’une célèbre marque de chaussure de sport, mais en plus érectile. Il rigole: «Oui, c’est ça, « nique ». » Mais non, c’est juste une reproduction de son nouveau tatouage, sur le pectoral droit, un peu au-dessus du coeur, en forme de cicatrice qui remonte à la surface.